La lune, dissimulée par de sombres nuées, répandait dans le ciel son halo roussâtre. Le fermier Saldean y aurait vu sans doute quelque présage. Je n’y voyais que le symbole de ma liberté.
Longtemps encore, lorsque je la contemplerais, résonneraient en moi les échos de l’allégresse qui me submergeait en cet instant. Allégresse bientôt tempérée par le froid qui glaçait mes membres, par les grognements, grondements et sifflements que le vent d’automne portait jusqu’à moi.
Je me glissais sous un arbre abattu, rassemblais une brassée de feuilles mortes en guise de couverture, nichais ma tête au creux de mes bras, tentant vainement d’atténuer les tremblements qui me secouaient. La fatigue de la course folle que je venais d’entreprendre, le maëlstrom d’émotions, de sensations qui m’assaillait, me tinrent éveillée un long moment. Pourtant, mes paupières finirent par s’alourdir, refermant leur voile sur un sommeil peuplé de cauchemars. Mon esprit épuisé revivait mes premières années. Celles dont je pouvais me souvenir.
Les Saldean m’avaient recueillie alors que j’étais encore une enfant. Ils m’avaient trouvée, errant dans les landes de Westfall, les yeux hagards, en guenilles, pieds nus, amaigrie par des jours de marche et de privation. On ne sût jamais d’où je venais, ce qui m’était arrivé. Je restais muette durant des semaines, incapable d’émettre le moindre son. Peu à peu, je m’adaptais à cette nouvelle existence, endossant le rôle de fille de ferme qui me fût dévolu, me satisfaisant de la maigre pitance qu’ils daignaient m’accorder en gage de mon labeur.
Au fil des mois, je retrouvais l’usage de la parole, mais ne pus jamais expliquer ce qui m’avait jeté sur les routes, quel mystère entourait mes premières années, ne le sachant moi-même. Sans doute en un réflexe de survie, ma mémoire avait-elle occulté ces sombres moments.
Pourtant, une chose était sûre. Je me savais différente. Cette particularité m’effrayait. Lorsque la colère, la frustration montait en moi à la suite d’une remontrance ou rebuffade, je sentais dans mes mains se répandre une brûlure intense. Un jour que je venais de me faire rudement rabrouer par l’aîné des fils, la brûlure atteint son paroxysme et je constatais avec effroi qu’une boule de feu enflait au creux de ma paume. Terrifié, il me regardait, les yeux exorbités, emplis de crainte et de haine, cherchant une échappatoire. Je fus la première à réagir, me précipitant vers la soupente où je rangeais mes maigres affaires. J’en fis un grossier baluchon que je jetais sur mon épaule, m’enfuyant aussi loin que je le pouvais.
C’est ainsi que je me retrouvais à nouveau sur les routes, livrée à une destinée incertaine, avec pour seul objectif de rallier Stormwind où j’espérais trouver des Maîtres susceptibles de m’éclairer sur ces pouvoirs naissants, de m’apprendre à les canaliser, à les mettre au service de l’Alliance, de la Lumière…